|
Château de Bonneval
L
es lions de la terrasse ont leur légende.
En l'an de grâce 1147, Guillaume de Bonneval, pour ses violences, encourut
l'excommunication majeure. Pour être relevé de cette peine, il se "croisa". Ses
armes d'ailleurs figurent dans la Salle des croisades de Versailles.
Deux ans il se battit, en Bonneval, entre Louis VII et Conrad II, puis il revint
à son château. Il se hâta d'informer l'évêque de son retour afin que
Monseigneur lui fasse connaître à quelle date il viendrait le relever aux yeux
de ses vassaux. Un dimanche d'août, les cloches carillonnèrent à toute
volée. Sur le chemin qui venait de Limoges, on vit une longue cavalcade de gens
de robe, l'évêque, un protonotaire apostolique, des prêtres, des moines. Au
château, les seigneurs limousins entouraient le pénitent dont l'œil
s'éclairait de joie et de malice.
La cérémonie se déroula devant une foule considérable, un repas plantureux
s'ensuivit. Enfin, Monseigneur l'évêque du Limousin donna le signal de la
retraite en quittant la table.
Le comte de Bonneval le suivit et lui tint l'étrier: "Monseigneur",
lui dit-il, "grande est ma joie d'avoir pu offrir l'hospitalité à un
prince de l'église sous le toit de mes ancêtres. Aussi, pour vous donner une
preuve mémorable du plaisir que vous me faites en venant céans, je veux vous
offrir, pour vous escorter, telle suite que jamais prince, tant de la
chrétienté que des infidèles, n'en eut sous ses ordres."
Il dit alors quelques mots en une langue méconnue. Et les mécréants qu'il
avait ramené d'Orient firent avancer sur la terrasse une lourde machine de bois
d'où bondirent deux énormes lions, la tête haute, la queue battant les flancs.
Prêtres, moines et moinillons se jetèrent vers l'évêque comme poussins vers leur
mère. Le saint homme faillit être désarçonné. Le comte de Bonneval et ses invités
riaient de cette panique, lorsque le prélat se haussa sur l'étrier, et la dextre
étendue, prononça en latin une formule d'exorcisme. Les fauves se couchèrent au
bord de la douve et s'endormirent. Ils y sont encore. Les anciens racontent que,
le soir de la Saint-Jean, ils s'éveillent et rugissent.
A
droite de la terrasse se dresse la plus haute tour du château: la tour du Diable.
Cette tour a aussi sa légende.
En 1227, Messire Roger de Bonneval s'en alla guerroyer contre les troupes de la
régente Blanche de Castille. Un tremblement de terre ayant démoli en grande partie
cette tour, la châtelaine Anne de Lestrange, dame de Bonneval, se lamentait devant
la brèche ouverte en compagnie de la gente Aliénor, sa fille, lorsqu'un élégant
visiteur vint se présenter à elle.
"Je suis le sire de la Côte Brûlée, noble dame", déclara-t-il. "Je voyage pour mon
plaisir. Me sera-t-il permis de réclamer votre hospitalité pour une nuit
seulement?"
La réception de dame Anne fut des plus cordiales. Le lendemain, le sire de la Côte
Brûlée vint trouver la châtelaine et lui dit: "Noble dame, je n'ai pu voir la
beauté de votre fille Aliénor sans en être charmé. Voulez-vous me faire le grand
honneur de m'octroyer sa main? En retour, je vous promets de relever la tour en
une nuit car j'ai étudié l'art magique et le grand art."
"Je n'ai pas le choix, Messire, aussi j'accepte", répliqua la châtelaine.
Lorsque le jour parut, la tour était reconstruite au goût de l'époque. "Vous avez
mérité votre récompense Messire", dit dame Anne, "Je vous donne ma fille."
"Ma mère", intervint alors Aliénor, "permettez qu'avant la cérémonie, notre bon
curé vienne bénir la tour."
Le chevalier fronça les sourcils mais s'inclina... Le saint homme bénit la tour et,
ayant rencontré le sire de la Côte Brûlée, d'un geste large, il l'aspergea d'eau
bénite.
Celui-ci poussa un rugissement de rage et disparut pour faire place à Satan qui
donna un grand coup de pied à la tour et s'enfonça sous terre en vomissant des
flammes et des blasphèmes.
La Tour du Diable porte encore de nos jours les traces de la fureur de son
constructeur: elle est lézardée.
|
|